Addictologie et Alcoologie
Prise en charge de l’entourage
Les familiers de la personne addictive, ses relations familiales et conjugales et son contexte professionnel ne sont pas responsables de sa maladie addictive. Ils sont néanmoins pris dans la tourmente de l’addiction et ils participent souvent, malgré eux-mêmes, à l’organisation de ce phénomène complexe qu’est l’addiction.
C’est pourquoi, il est important de prendre en charge l’entourage dans le cadre de soins addictologiques.
Conduite addictive et relations familiales
Toute addiction se manifeste, s’installe, se maintient sur fond d’un contexte de relations humaines…
La dépendance à un produit s’installe de façon très variable. Cela peut se faire rapidement tout comme cela peut se faire sur plusieurs mois voire plusieurs années. Il n’y a pas de règle et souvent pas d’avertissement.
Dans tous les cas de figure, la conduite addictive, répétitive, excessive et spectaculaire souvent par ses conséquences influe naturellement sur la vie relationnelle et surtout familiale de la personne.
Quelle que soit la consommation autour de soi, la maladie peut frapper. Cela est vrai, aussi bien pour les couples où les deux partenaires sont consommateurs, même à des degrés différents, que dans des familles où les consommations régulières et excessives font partie de la culture de vie quotidienne. Par ailleurs et souvent, les conduites addictives se développent dans des lieux de travail, des espaces festifs, des temps de vie collective, comme autour d’évènements sportifs et autres célébrations ou commémorations. Les consommations sont en quelque sorte « institutionnalisées » et peuvent être favorisées par l’atmosphère ambiante et par les temps culturellement inscrits dans notre société (pot de départ, fin de chantier ou nouveau contrat, mariage, baptême…).
…mais il n’y a pas de responsabilité du conjoint ou d’un parent dans la manifestation d’une conduite addictive.
Depuis un siècle, des milliers d’études scientifiques n’ont pu démontrer la responsabilité des proches de la personne addictive, de ses relations familiales et conjugales, de son contexte professionnel dans l’apparition de la maladie addictive. Cependant, ils sont pris dans la tourmente de l’addiction et ils participent malgré eux-mêmes et souvent, à l’organisation de ce phénomène complexe qu’est l’addiction.
Le fonctionnement psychologique de la personne addictive, renforcé par les conséquences de ses consommations, le rend très rapidement dépendant matériellement et moralement de ses parents, conjoint et autres proches. Ces derniers, pour des raisons affectives, acceptent et assument cette dépendance et compensent ses défaillances sans pouvoir anticiper que tôt ou tard, ils deviendront « complices » de la conduite addictive car obligés de la supporter voire la soutenir pour protéger leur bien-aimé.
Le phénomène de codépendance.
Au fil du temps, il est possible qu’au sein d’une famille ou d’un couple, on assiste au développement du phénomène de codépendance. En effet, la personne codépendante estime devoir protéger l’addictif de ses consommations et des conséquences de ses comportements et par conséquent elle perd, à son tour, toute autonomie, quant à son propre développement psychologique, affectif et émotionnel car elle se trouve « envahie et absorbée » aussi par l’addiction.
Dans tous les cas de figure, les proches de la personne addictive vont évoluer, habituellement malgré eux, avec elle, et au rythme de ses mésaventures : se réjouir de ses moments d’excitation ; participer, souvent en tant que victimes collatérales, à ses moments de détresse et de colère ; s’aligner sur ses raisonnements de déni de la maladie ; ressentir la honte, se replier et s’isoler socialement ; lui en vouloir et chercher des coupables « externes » souvent imaginaires, puis s’en vouloir et déprimer, jusqu’à souhaiter secrètement et à bout de souffle et dans la culpabilité, sa disparition.
Il faut se rappeler que les conduites addictives sont souvent à l’origine des violences intrafamiliales mais aussi de l’altération de l’ambiance familiale et enfin de la dégradation matérielle et financière de la famille.
Cela concerne dans un moindre degré aussi bien les relations amicales, de voisinage et même les relations en milieu professionnel. Ces interactions dégradées forment des boucles qui se renforcent mutuellement.
Pourquoi et comment prendre en charge l’entourage ?
Qu’il s’agisse des parents, du conjoint, de la fratrie ou des enfants de la personne addictive, il faut prendre en charge leur souffrance qui a suspendu leur développement et leurs droits à une vie sereine et heureuse. Les études montrent que les proches de la personne addictive manifestent plus souvent que dans la population générale des troubles dépressifs, des burn-out professionnels, des troubles anxieux, d’autres comportements addictifs et des troubles de conduites alimentaires. Les enfants se voient plus fréquemment en difficultés scolaires, ils sont plus précocement déscolarisés et présentent plus de troubles du comportement.
Il est donc important que les proches soient accompagnés soit sur un mode préventif soit, si besoin, sur un mode thérapeutique : le maître-mot est que s’ils ne réussissent pas à sauver leur malade, au moins qu’ils réussissent à se sauver eux-mêmes ; à se débarrassent de leur dépression et de leur honte et que les enfants puissent retrouver le chemin vers l’épanouissement et l’autonomisation.
Par ailleurs, bien que rien ne prouve la responsabilité des membres de la famille dans l’évolution d’une personne vers la maladie addictive, l’expérience montre que la famille est la scène principale sur laquelle va se jouer ce drame. Or, modifier le contexte familial peut « faire dérailler » l’enchainement implacable des étapes de la maladie addictive et permettre à la personne addictive de sortir du cercle vicieux.
Habituellement pouvoir se parler, de façon sereine, dans un espace émotionnellement neutre, et en présence de la personne souffrant d’addiction, de la maladie, de ses conséquences et du ressenti des proches peut momentanément soulager mais aussi amorcer la fin du déni de la maladie. Ceci annonce l’espoir d’une prise en charge thérapeutique et c’est un premier pas pour que la personne addictive trouve la motivation suffisante pour s’engager dans les soins.
En fait, la modification du contexte familial, précède habituellement la formulation d’une demande de soins.
Même si la personne addict refuse de se rendre à ces réunions familiales avec des soignants, elle est souvent au courant de cette démarche et de ce souhait de changement chez ses proches et en prend connaissance de leur déroulement. Par ailleurs, les thérapeutes aident les proches à lui communiquer leur motivation et leur désir de la voir se décider à s’autonomiser. La question de l’autonomisation et celle de la séparation sont souvent au cœur de la problématique familiale. Les thérapeutes systémiques familiaux peuvent faciliter cette réflexion et permettre que la famille reprenne son évolution.
Mais le travail avec la famille est aussi très important même après que la personne addictive est entrée en soins, et qu’elle ait réussi une abstinence de fraîche date (ou le cas échéant une consommation modérée). En fait, le contexte familial doit procéder à de multiples ajustements successifs pour accompagner les changements de comportement et de « philosophie de vie quotidienne » auxquels la personne addictive s’est engagée avec l’accompagnement de ses soignants. La modération est un nouveau style de vie et le soin addictologique vise à amener – par étapes et sur une période longue – la personne addictive vers un changement du rythme de vie quotidien et de hiérarchie des valeurs mais aussi vers la découverte de modalités nouvelles de vie relationnelle et d’émotions partagées. Ceci n’est pas un progrès linéaire mais une trajectoire sinueuse parsemée de difficultés imprévisibles, de doutes et de « valses-hésitations » et la famille sera partie prenante de l’expérience.
Les études ont montré que l’engagement de la famille aux côtés du patient et le temps des soins addictologiques, maintiennent sa motivation et renforcent la bonne observance des traitements.
Il s’agit, en effet, d’une expérience thérapeutique, relationnelle et collective sur une longue période qui vise, à terme, à renforcer le sentiment de sécurité de tous les membres de la famille, la confiance réciproque et l’esprit de solidarité, l’identification des éléments d’appartenance à l’identité familiale, l’expression libre et le partage des émotions.
Enfin, il est possible que pendant la période de l’addiction ou même avant, des interactions ou des événements aient eus lieu et dont il faudra parler car justement la conduite addictive a fonctionné comme une « censure » interdisant d’aborder ces sujets qui sont souvent d’une importance familiale : attachement, séparation, autonomisation, différenciation, identité, sexualité etc… Ce sont alors des « bombes à retardement » qu’il conviendra de désamorcer dès que la « météo familiale » aura retrouvé un temps clément, fait de sentiment de sécurité, de mutualité et de cohésion affective.
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